Les drapeaux devraient être en berne aujourd’hui, parce que Big Brother Célébrités a perdu son étoile. Jean-François Guevremont, que le grand public a d’abord découvert sous les traits de son alter ego Rita Baga à Canada’s Drag Race, a en effet été éliminé de la téléréalité dimanche soir, au grand désarroi des fans de l’émission et de la drag queen. En entrevue avec HollywoodPQ, l’artiste est revenu sur son parcours, mais aussi sur les enjeux sociaux qu’on a pu observer avec Big Brother, en plus d’annoncer son premier gros spectacle à grand déploiement.
Tu es allé à Big Brother avec l'objectif de démocratiser l'art de la drag, ce que tu as clairement réussi, et aussi pour sortir un peu de ta coquille, montrer qui est Jean-François. As-tu le sentiment que c'est mission accomplie?
Comme je me suis fait éliminer parce que j’étais trop sociable, je dirais que oui! C’est une mission réussie et, en même temps, quand je dis « sortir de ma bulle », c’est que j’ai les mêmes amis depuis le secondaire, je travaille avec la même équipe pour mes costumes depuis longtemps, le même graphiste… Je garde mon cercle très fermé et je ne vais pas vers les autres. Ma peur à Big Brother, c’était de ne jamais avoir le temps d’être tout seul. Finalement, je suis embarqué dans le jeu, j’ai parlé à tout le monde tous les jours. La bonne femme était ben sociable!
Qu’est-ce que ça te fait d’avoir réussi à rejoindre un public qui n’est pas nécessairement celui qui regarde des émissions de drag queen?
Ça me touche beaucoup, parce que je pense que j’avais une appréhension en arrivant là. Je me disais : « C’est sûr qu’il y a des gens pour qui c’est complètement aux antipodes de qui ils ou elles sont, peut-être que ça ne les rejoindra pas. » Mais ça a été toute une surprise. Depuis hier soir, tout ce que je vois passer… j’aurais jamais pensé avoir cette vague d’amour là.
Justement, ça te fait quoi de savoir qu’autant de gens voulaient que tu restes dans l’aventure?
Je me disais que je dois donner un bon show, parce que les colocataires de la maison me disaient : « Hey, tu mets vraiment de la vie dans la maison, t’es drôle! » Mais je ne pensais pas que ça allait rejoindre autant de gens. Ça a été une surprise, mais vraiment une surprise agréable. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai accepté de participer : d’arrêter d’avoir l’air de la bibitte qui est dans un bar que juste le monde qui tripe plus underground aime, de rendre ça accessible. […] Je pense que, pour ça, c’est mission réussie.
On a vite remarqué que Big Brother est devenue une microsociété, avec les hommes blancs au pouvoir dans la maison. Tu t'es toi-même retrouvé dans une alliance composée des deux personnes noires et des deux personnes issues des communautés LGBTQ+, en plus d'avoir reçu une insulte homophobe de la part de Marie-Chantal Toupin. T'es-tu senti marginalisé?
Oui. Et ce qui est spécial, c’est que — pour garder un peu le bon fonctionnement de ma santé mentale — dans les 10 dernières années j’ai travaillé pour le festival de la Fierté, je travaille dans le Village aussi, mes amis s’identifient pas mal tous queer… j’ai toujours été dans un « safe space », si on veut. Là, je retombais en minorité, marginalisé dans un grand groupe. Je rentrais dans des patterns de quand j’étais plus jeune, des questionnements (est-ce qu’il faut que je change ma façon d’agir ou d’être?), et ça a pris quelques jours, j’ai même envie de dire quelques semaines, avant que le grand groupe réalise que c’est internalisé la façon dont les alliances se font, mais que c’est représentatif. […] C’est dommage, mais en même temps, je trouve que, dans une émission de divertissement, qu’on ait des conversations sur des enjeux de société à travers la loupe de cette émission-là, ça ne peut être que bénéfique ultimement.
T'attendais-tu à ce que ça puisse arriver, cette espèce de phénomène social là?
En toute honnêteté, non, parce que ce n’est pas l’environnement dans lequel j’évolue. Ça a pris une semaine avant que je constate qu’il y avait un clivage et je l’avais dit à Camille [Felton] : ça ressemble à ce qu’on vit en société. J’ai vu tous les épisodes sur Noovo et dans les choix de mots des fameuses personnes que les gens appellent « les hommes hétérosexuels blancs cisgenres », on comprend que la notion de privilèges n’est pas acquise. Il y a beaucoup de dénis, beaucoup d’internalisation aussi. J’ai dit à mes amis hier en écoutant l’émission : « Il y a des gens qui n’ont même pas besoin qu’on leur réplique quelque chose parce que tout ce que ces personnes-là disent, ça suffit pour qu’on comprenne qu’on n’est pas au même niveau sur différents enjeux, qu’on ne pense pas du tout de la même façon. » On voit où certaines personnes sont rendues dans leur cheminement et on n’a même pas besoin de commenter quand il y a des propos comme ça qui sortent, parce qu’on comprend tout de la vision de ces personnes-là.
Parlant de phrases qui ont pu te déranger, Emmanuel Auger avait donné une justification pour te mettre en danger. Il s’est finalement rétracté en disant que ce n’était pas la vraie raison. Est-ce que ça t’a soulagé quand il t’a dit que ce n’était pas vrai qu’il trouvait que tu ne te battais pas assez?
Ça m’a pris de court, d’entendre ça, parce que ça allait plus loin que se battre dans les challenges. On s’entend aussi que ça avait déjà été discuté que moi j’allais faire les épreuves en Rita, donc je ne fais pas juste prendre une douche et mettre un t-shirt; il y a une préparation de 90 minutes avant. Je trouvais ça faux, et après ça, ça a eu un impact parce que ça a résonné; il ne comprend pas que pour une personne qui est dans une situation où elle est plus marginalisée qu’une autre, avec des enjeux intersectionnels, la notion de bataille et de militantisme elle est ancrée, c’est notre quotidien. Venant — encore une fois — d’une personne hétérosexuelle blanche qui s’identifie homme, c’est sûr que ça résonne plus. Mais comme je l’ai dit souvent, je n’ai aucune animosité envers Manu, parce que j’ai toujours senti qu’il ne fait jamais rien pour attaquer quelqu’un, pour le dénigrer, le rabaisser ou le faire sentir inconfortable. Tout ça est fait de façon inconsciente et maladroite, pis il se sent toujours mal quand on lui dit après. Il y a une volonté de ne pas blesser, c’est juste que des fois, par ignorance et maladresse, il le fait.
Il y a une autre personne qui, pour reprendre tes mots, a pu être blessante par son ignorance, c’est Marie-Chantal. Tu as accepté ses excuses, mais on a senti que ça t’avait vraiment affecté. Avec le recul, comment vis-tu ça maintenant?
C’est sûr que je ne veux pas trop extrapoler là-dessus, parce que quand on parle d’événements qui sont néfastes pour quelqu’un et qu’on le ramène tout le temps, ça perpétue encore l’événement. Quand on fait des attaques qui sont personnelles, que ce soit à moi ou à quelqu’un d’autre, ça m’atteint d’une façon ou d’une autre. Ce que je lui ai dit, c’est ce que je pense. J’ai le pardon facile, mais j’ai une très bonne mémoire.
Très dur à dire au tiers de l’émission. C’est sûr que je vois qu’il y a des joueurs qui sont très stratégiques, dont des joueurs qui ont fait en sorte que je suis en train de faire une entrevue avec HollywoodPQ aujourd’hui! Par contre, tout peut arriver et j’ai plus envie de répondre que les personnes très intègres dans l’émission et qui ont une grande force psychologique mériteraient de gagner. Plus que ça, j’ose pas me mouiller!
C’est un spectacle solo de production qui n’est pas un spectacle dans les classiques de la drag queen. Mon but, c’est de faire une nouvelle proposition. Ça s’appelle Créature et j’aime bien un peu tout ce qui est science-fiction, fait qu’on va naviguer là-dedans. C’est un spectacle qui va avoir plusieurs disciplines et qu’on fait en collaboration avec la boîte Concertium, donc qui va durer minimum un an. Pour moi, c’est une façon de rentrer dans les grandes ligues. J’ai fait des centaines de spectacles à travers les années et j’en ai vu beaucoup, j’en ai booké comme directeur de programmation à la Fierté, alors je veux mettre la barre haute. Pour plusieurs personnes, ça va être leur premier spectacle de drag, donc je ne veux pas qu’elles aient l’impression qu’on peut voir la même chose dans un bar, par exemple. C’est un show de production, on met le paquet! Ça va être pour toute la famille et je pense que ça va être quelque chose de très beau qui n’a pas encore été fait au Québec. La première sera en octobre, une grande première à Montréal, et après ça, on a des dates en 2022.
Pour tout savoir sur la tournée de spectacles Créatures, rendez-vous juste ici.