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«Tache» de Simon Delisle: L’autodérision est une arme de séduction massive

Simon Delisle est de ces intrépides qui se sont faufilés dans l’écosystème humoristique par la porte de côté, peut-être la plus authentique.

Pas assez médiatiquement présent pour qu’on se lasse de lui. Pas imbu de lui-même au point de rechercher la lumière à tout prix. Souvent scripteur pour ses collègues (Jeremy Demay, Laurent Paquin, Mariana Mazza). Intelligent et sûr de lui (du moins, il paraît).

Et il est vivement apprécié dans son milieu, à en constater le nombre de personnalités qui s’étaient déplacées à la Cinquième Salle de la Place des Arts, mardi, pour la première médiatique de son deuxième one man show, Tache. Celui-ci succède à Invincible, son premier effort entamé au printemps 2022. Si Simon Delisle constitue encore pour vous un secret bien gardé, tendez l’oreille, il y a là une jolie perle à découvrir.

Seulement, votre oreille, elle devra s’habituer au débit trépidant de ses paroles. Était-ce le stress du baptême devant les pairs, mardi, ou la simple impatience de nous balancer un contenu dont il aurait raison d’être fier, mais on en perdait des bouts tant les mots se bousculaient dans la bouche de Simon. Ce dernier tire tellement à gauche et à droite, avec des observations souvent si savoureuses, qu’il est dommage d’en échapper des parcelles.

Simon Delisle sur scène, à la première de son deuxième one man show, Tache / Crédit : Serge Cloutier

Du Windex intellectuel!

Le titre Tache prend son sens à la fin de l’heure-et-des-poussières de la représentation, son explication fermant un récit «d’accident» de jeunesse honteux qui a permis au petit Simon Delisle de jadis d’apprivoiser timidement la notion de deuil, apprentissage semblant se poursuivre aujourd’hui.

Mais les taches de son existence, notre hôte les éponge à grands coups de Windex intellectuel tout au long de ce deuxième spectacle. Car Simon Delisle décrie, surtout, dans ce monologue ininterrompu, davantage qu’il n’encense. C’est subtil au début, puis le ton s’affirme au rythme où la tirade progresse: Simon Delisle est chialeux! Mais son chialage est de bon goût et souvent très drôle.

Parce que la pression est grande sur les épaules d’un humoriste qui rapplique avec une deuxième tournée, Delisle déjoue le mauvais sort en remémorant, d’emblée, deux de ses pires shows en carrière. Délectables anecdotes, parfois dures pour l’ego de notre homme.

Celui-ci décrète ensuite une vérité peut-être inéluctable (discutez?): si vous aimez l’hiver, vous êtes atteints du syndrome de Stockholm. Qu’on soit d’accord ou pas, ses explications sont pertinentes. Le seul sport enneigé qui fait du sens pour Simon Delisle est le biathlon, parce que déambuler en ski de fond lui donne véritablement des envies de tirer à la carabine. Preuve de la singularité du style du nouveau quadragénaire: parvenir à réinventer, en 2024, le grommelage envers la saison froide, alors que Dominique Michel entonnait Hiver maudit (J’haïs l’hiver) à la fin des années 1970, il faut le faire.

Simon Delisle sur scène, à la première de son deuxième one man show, Tache / Crédit : Serge Cloutier

L’une des grandes forces de Simon Delisle réside dans sa capacité à fondre les sujets les uns dans les autres avec la fluidité du beurre s’éteignant dans la poêle. On glisse sur ses propos, et pouf! Soudainement, on est ailleurs. Sans l’avoir réalisé. La transition a été tellement naturelle qu’on ne l’a nullement décelée. La rapidité de son phrasé y est peut-être pour quelque chose, mais Delisle possède indéniablement le talent de parler d’Old Orchard, de paresse, d’hyper-positivité, de ChatGPT, de Dixie Lee (chaîne de restaurants apparemment pas tout à fait végane où peut s’incarner le symbolisme profond de la surutilisée expression «YOLO») et du mantra «Merci la vie» (qu’il abhorre) dans un même seul et long trait, sans qu’on ne sache où tout a commencé et où tout se terminera. Bref, il nous envoûte. Comme si, dans sa tête, toutes ces réflexions étaient tangiblement interreliées. Et l’ensemble demeure digeste.

Au cœur de Tache, l’autodérision, l’une des armes de séduction massive de Simon Delisle. Celle-ci point un peu partout, comme dans ce segment médical brodé autour de sa passion des hôpitaux (la cuisson du poulet y est plus à point que dans un tout-inclus, soutient-il). Aussi, lorsqu’il est question de son alopécie, de son vitiligo, de son diabète (Simon Delisle est atteint de polyendocrinopathie et a reçu son diagnostic à l’âge de 9 ans, comme il l’explique à sa manière dans son texte).

Mais l’autodérision en elle-même est aussi l’objet d’un très habile numéro, dans le même souffle que cette «résilience» qu’on célèbre tant, à tort, observe Delisle. Sa propension à savoir rire de lui-même ne devrait pas ouvrir la porte aux commentaires méchants d’autrui. Le message, transmis façon Simon Delisle, frappe dans le mille.

Simon Delisle sur scène, à la première de son deuxième one man show, Tache / Crédit : Serge Cloutier

Mat Lévesque, un dur à cuire

En première partie de Tache, Mathieu «Mat» Lévesque est arrivé sur scène comme un coup de poing avec sa carrure respectable, son autorité naturelle, sa voix tonitruante et son vocabulaire de taverne.

La comparaison est à-propos; le jeune sosie (physiquement) du défunt comédien Robert Gravel nous raconte justement, entre autres, sa plus grosse «brosse» à vie, expérimentée pendant la pandémie. Un épisode où il était vraiment «en feu», au propre comme au figuré!

L’humoriste Mat Lévesque assure la première partie du spectacle Tache, de Simon Delisle / Crédit : Serge Cloutier

Aussi bon orateur que son complice de coulisses (et aussi vite à déballer son sac), Lévesque, avec «[sa] face de chips Yum Yum au vinaigre», tourne beaucoup dans le rayon des paradis artificiels, avec un ultime jab aigre-doux à la paternité.

Pas pour les bambins, mais on a entendu pire.

Simon Delisle présente Tache en tournée. Visitez son site web (simondelisle.ca) pour plus d’informations.

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