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Stéphan Bureau: «On n’aime pas beaucoup ce qui nous bouscule»
Crédit: Courtoisie Télé-Québec

L’image du Stéphan Bureau s’apprêtant à prendre la barre d’une nouvelle table ronde hebdomadaire, Une époque formidable, à Télé-Québec, ne concorde plus vraiment avec celle du premier de classe surdoué des communications qu’il fut jadis, devenu chef d’antenne dans la jeune trentaine, à TVA, puis à Radio-Canada, et ayant multiplié les mandats prestigieux.

Se porter à la défense de Donald Trump dans l’arène médiatique à l’heure actuelle, à l’approche de l’élection américaine historique qui approche, est une initiative risquée, voire un jeu dangereux. Mais, Stéphan Bureau n’a jamais craint de se brûler en tâtonnant le feu, et pourquoi pas en l’empoignant à pleines mains. Est-il trumpiste? Complotiste?

Les allusions paraissent l’agacer, mais ne le démontent pas.

HollywoodPQ s’est entretenu avec l’animateur-journaliste-électron libre, à quelques jours de la première de son émission, le mercredi 4 septembre, à 20 h, à Télé-Québec. Compte-rendu.  

HollywoodPQ : Stéphan, vous tenez les commandes d’un nouveau grand plateau de discussion à Télé-Québec, intitulé Une époque formidable. Il s’agit là d’une expression que vous utilisez souvent, mais, employée comme titre d’émission, elle peut avoir une connotation ironique. Est-ce le cas?

Stéphan Bureau: «Ça peut l’être, évidemment. Je pense qu’il y a parfois de quoi grincher des dents, quand on regarde les bulletins de nouvelles, quand on prend la mesure des changements qui sont en train de bousculer nos vies. Il y a de fortes chances qu’on se dise que ça puisse être un peu ironique. Je ne connais pas beaucoup de citoyens qui n’ont pas l’impression d’être un peu dépassés… Mais, ce ne l’est pas. Formidable, ce n’est pas mélioratif; formidable, c’est comme extraordinaire. C’est hors gabarit. Nous sommes dans une époque qui est, je pense, unique. Notamment en raison de l’accélération des changements technologiques, sur une échelle insoupçonnée et insoupçonnable. La révolution de l’intelligence artificielle et la possibilité – en fait, la certitude –, que nous allons bientôt être dépassés par la technologie… Il n’y a pas de précédent. Une époque formidable, ce sont de nouveaux horizons, mais ce sont des horizons où on pourrait perdre le contrôle.

Cette époque est formidable, engageante, excitante. Moi, je ne regrette pas une seconde d’être en vie aujourd’hui. Et je pense que c’est le moment où on doit discuter, parler, débattre à l’occasion, et surtout, ne pas rester indifférents. Parce que ceux qui resteront les bras croisés illustreront le vieux proverbe: qui ne dit mot consent. Je ne pense pas que notre émission va changer quoi que ce soit à l’équation générale et mondiale, mais c’est une petite ambition, qui va mettre du temps avant de se cristalliser.

Trouver le ton pour lancer l’émission, ce n’est pas simple. Et ce, dans un Québec, en somme, égal à lui-même. C’est-à-dire qu’on cherche toujours le consensus. On n’aime pas beaucoup ce qui nous bouscule. Mais, on devrait, nous, bousculer l’époque, se poser des questions, se permettre de connaître des opinions, et faire en sorte qu’on n’en sera pas des victimes, de l’époque.»

HPQ: Quels sujets seront abordés au premier rendez-vous d’Une époque formidable?

SB: «On parle de notre passion démesurée pour la politique américaine, comme si on était tous atteints d’une maladie collective depuis trois mois. J’ai l’impression que tout le monde est devenu un super spécialiste de la politique américaine, et en connaît chacun des détails comme personne auparavant! Notre politique, soudainement, semble fade et molle. Est-ce que ça pourrait changer notre manière de faire de la politique? Est-ce qu’on imagine un jour que Marjo pourrait aller chanter à la convention de l’ADQ, ou je ne sais quoi, comme on attendait Beyonce chez les Démocrates? [Les invités seront Martin Proulx, animateur du balado La dernière élection, Jean-François Lisée, ancien correspondant à Washington, Noémi Mercier, journaliste indépendante, et Biz, NDLR].  

Je pose la question en deuxième sujet: pourquoi la téléréalité nous fascine à ce point-là? Pourquoi est-ce la seule télé qui parle aux jeunes et qui fait vivre encore les réseaux de télévision? Il y a 20 ans, la téléréalité était méprisée et regardée en cachette; aujourd’hui, c’est la télé qui pogne. Est-ce qu’il y a un lien avec la campagne électorale américaine et le fait que ça ressemble à de la téléréalité? [Les invités seront Ghyslain Octeau, dernier gagnant de Survivor Québec, Martin Proulx, producteur de téléréalité (dont La Voix et Sortez-moi d’ici!, NDLR), Jean-Thomas Jobin, consultant sur Survivor, et Frédéric Gieling, réalisateur de Pignon sur rue et Big Brother Célébrités, entre autres, NDLR].

Le dernier sujet porte sur les écrans. Est-ce qu’il faudrait imposer une majorité numérique? Comme pour les permis de conduire, est-ce qu’il faudrait avoir un âge minimum pour être sur les réseaux sociaux? J’ai des jeunes avec moi, et j’ai une chercheure qui s’est intéressée à l’idée d’interdire l’accès aux réseaux sociaux chez les 16 ans et moins, par exemple.»

HPQ: Le concept de votre nouvelle tribune n’est pas sans rappeler celui du Monde à l’envers, que TVA a débranché l’an passé à la dernière minute, à la surprise générale, après une seule saison. Avez-vous retenu certains enseignements de cette expérience, qui vous aident peut-être aujourd’hui dans l’élaboration d’Une époque formidable?

SB: «On a fait ce qu’on avait à faire, on l’a bien fait. On était numéro un le vendredi. L’émission n’a pas été renouvelée. Il y a des circonstances qui l’expliquent, comme je l’ai souvent dit. Il y a 500 et quelques personnes qui ont perdu leur job après que notre émission eut été annulée. C’est clair que, dans une organisation, on priorise les employés à temps plein quand il y a des problèmes économiques. Je comprends qu’ils aient fait des choix. Ça m’a peiné. Et je n’ai rien d’autre à dire parce que, pour moi, c’est vraiment de l’histoire ancienne. Je n’ai rien d’autre à dire face à ça.

Je vois le prix que ça demande de partir un show, en termes d’énergie. Je revis la même chose. Il n’y a rien d’autre à faire que de prendre acte. J’oserais dire que ma vie, dans la dernière année, à cause de ce qui s’est passé, a été formidable, pour reprendre un qualificatif que j’applique à mon émission. J’ai l’impression d’avoir une vie formidable et je ne le regrette pas du tout. Parfois, les circonstances sont poches, mais quand tu fais le bilan après, tu dis: franchement, ça a ouvert toutes sortes d’avenues que je n’imaginais pas.»

HPQ: Vos analyses de l’actualité ne font pas nécessairement l’unanimité. Elles sont critiquées sur les réseaux sociaux, remises en question par vos collègues journalistes. Comment composez-vous avec cette aura de mouton noir?

SB: «Je ne contrôle pas la parole des autres. Je regarde et m’intéresse peu à ce qui est dit et écrit, et ce n’est pas une blague. Je pense que c’est le principe même de la liberté d’expression. On peut me traiter de génial premier de classe, ou de pourri merdeux. C’est permis! Ça fait partie de ce que la liberté d’expression engendre. Ça ne me préoccupe pas beaucoup. Moi, je suis responsable d’une chose, et une seule seulement: ma parole. Parfois, elle est défaillante, parfois je me trompe, c’est évident. Mais, au-delà de ça, sur la moyenne, je n’ai absolument aucun doute sur ce que je fais, sinon je ne le ferais pas. L’opinion des autres, peu m’en chaut, parce que je ne la contrôle pas. Je n’ai pas d’impact sur ce que les autres pensent.

Aujourd’hui, de toute façon, le commentaire repose souvent sur la mauvaise foi. Aller corriger des gens qui t’apostrophent en étant de mauvaise foi, ou qui te prêtent une intention qui n’est vraiment pas celle de ton commentaire ou de ton opinion, c’est une game perdue d’avance. Moi, je ne peux pas dire que ça m’affecte beaucoup, et j’espère que tous ceux qui font mon métier ne se laissent pas affecter par ça non plus. C’est la marge. L’essentiel n’est pas là. On peut être en désaccord avec une idée ou une manière de faire, mais s’en prendre aux personnalités, c’est tellement ridicule!»

HPQ: Et quand on vous qualifie de complotiste, comment réagissez-vous?

SB: «Qui le dit? Qui dit ça? Qui est la personne qui sait ça, ou pense ça? J’espère que la plupart de mes collègues journalistes peuvent, à leurs heures, être complotistes. Parce que, dans l’histoire de l’humanité, des complots, il y en a eu. Est-ce que c’est une étiquette infamante? Je ne pense pas. Après, complotiste de quoi, et qui le dit?»

HPQ: Vous qui avez touché un peu à tout, de l’information brute au divertissement (il a conçu et animé les galas hommage Juste pour rire, NDLR), quel genre de télé souhaitez-vous faire, en 2024?

SB: «Je fais la télé que je peux faire, qui est compatible avec l’époque, qui est compatible avec Télé-Québec. J’espère, une télé qui est utile. Elle peut être ludique, drôle, le fun. C’est évident qu’on ne fait pas de la télévision pour se faire ch*er ou que ça soit triste ou ennuyant. Je souhaite qu’il y ait un peu de matière à se mettre sous la dent. C’est mon souci, dans tout ce que je fais. Je n’ai pas vocation de faire ce métier pour autre chose que d’être ponctuellement utile. Je trouve que c’est un beau mot!»

HPQ: En tant que spécialiste des affaires américaines et étrangères, vous collaborez aux différentes tribunes d’information de TVA et de QUB radio, à l’émission Les faits d’abord, d’Alain Gravel, à ICI Première, à la chaîne d’information française BFM, et vous nourrissez votre balado, Contact, en plus de piloter Une époque formidable, à Télé-Québec. Vous aimez cette posture d’électron libre, avec des «tentacules» sur tous les réseaux?

SB: «Ce n’était pas le plan de match. Les circonstances ont fait que les choses se sont développées ainsi. Mais, ce que vous soulevez en disant électron libre, je ne déteste pas ça. Toute ma vie durant, j’ai essayé de garder des marges de manœuvre. Je pense que c’est précieux. Et j’espère que ce l’est pour tous ceux qui font mon métier, même si ce n’est pas toujours facile. C’est important de garder une marge existante et une liberté pour penser, pour réfléchir et, surtout, dire ce qu’on pense. Ce qui nous menace le plus, c’est de ne pas avoir l’espace et/ou le courage pour dire ce qu’on pense quand on fait nos métiers. Il y a des conséquences plus graves encore à ne pas dire ce qu’on pense et à le refouler. J’essaie le plus possible d’être juste, droit, et de ne pas faire le contraire de ce que je pense! Et je suggère à tous ceux qui ont une opinion sur mon travail d’adresser leurs messages à mes différents clients, et leur faire savoir qu’ils sont irresponsables de m’engager…!»

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