De l’imposant catalogue de séries signées de sa main (de Omertà, La loi du silence à District 31, en passant par Tag, Le dernier chapitre, Blue Moon et bientôt Dumas et L’appel), un titre en particulier fait briller les yeux de Luc Dionne lorsqu’on invite l’auteur à replonger dans ses souvenirs: Bunker, le cirque.
Cette fable parodiant le monde politique, complètement éclatée dans sa structure narrative, un peu «nichée», réalisée par Pierre Houle (aussi réalisateur d’Omertà, et aujourd’hui script-éditeur sur Indéfendable), produite par Zone 3, mettait en vedette des pointures de la trempe de Raymond Bouchard, David Boutin, Rémy Girard, Louise Marleau, Paul Ahmarani, Paul Savoie, Micheline Lanctôt, Louise Bombardier, le regretté Michel Dumont et Serge Thériault, pour ne nommer que ceux-là.
Bunker, le cirque ne prenait pas les téléspectateurs pour des cons, loin de là. L’auteur utilisait littéralement et concrètement le deuxième degré pour ironiser son sujet, celui des coulisses de la politique. Par exemple, un politicien écarté, «tabletté» dans le jargon populaire, y apparaissait réellement assis sur une tablette. Une rumeur se propageant dans les couloirs prenait la forme d’êtres humains personnifiant le ragot qui circulait. Un style qui ne se comparait nullement à une comédie pure comme La Maison-Bleue, avec Guy Nadon (2021-2023), ou plus anciennement, Si la tendance se maintient (2001), avec l’inoubliable Michel Côté, par exemple.
Et qui n’est pas sans rappeler celui d’un autre artiste renommé…
Bunker, le cirque, avait été diffusée à Radio-Canada à l’automne 2002 (c’était bien avant l’appellation ICI TÉLÉ!). Attendue comme le messie après le succès d’Omertà, qui avait révélé la plume douée de Dionne (ex-attaché politique, et donc bien au fait de son sujet) pour l’écriture télé, la fiction avait causé une vague après l’autre: politiciens insultés (dont Pauline Marois, qui s’était dite blessée et dégoûtée par ce portrait cynique du métier), controverse à Radio-Canada (qui avait invité Mario Dumont, alors chef de l’ADQ, à présenter la série à son émission de la rentrée, sans donner au même moment la parole à feu Bernard Landry du PQ et à Jean Charest du Parti Libéral), critiques inégales.
Gage de son indéniable qualité, l’œuvre avait en revanche enlevé sept trophées Gémeaux en 2003. Pourtant, les cotes d’écoute, elles, n’avaient pas été à la hauteur du bavardage médiatique, et Bunker, le cirque en avait été quitte pour une seule saison à l’écran.
Mais la mémoire, elle, demeure, et peut-être encore davantage pour les projets audacieux à la Bunker. Peut-être le produit était-il trop en avance sur son époque? En cet âge d’or actuel de la série télévisée, à l’ère où les plateformes se multiplient, laissant place à des univers de tous les genres, en ces années où Radio-Canada et Bell Média osent investir dans des «bibittes» télévisuelles de l’odeur de C’est comme ça que je t’aime et In Memoriam, il serait pertinent de revoir Bunker, le cirque, aujourd’hui, pour mesurer l’évolution de nos sensibilités sociales et politiques.
Luc Dionne en rêve. Le créateur lui-même affirme ignorer pourquoi ce joyau de son répertoire reste introuvable aujourd’hui, alors qu’ICI ARTV a pourtant déjà rediffusé Omertà, que District 31 est intégralement disponible sur ICI TOU.TV EXTRA et que Blue Moon séjourne encore sur Club illico.
Mais Bunker, le cirque occasionne un pincement au cœur particulier à celui qui y a donné vie.
«Bonne question! Je ne sais pas», a-t-il hasardé, précisant néanmoins qu’il pensait «avoir déjà réglé» la question d’une éventuelle rediffusion de Bunker, qu’il raconte justement avoir revisionnée l’an dernier.
«On l’a regardée d’une traite. C’était quelque chose, cette affaire-là! C’est une série dont je suis très fier…»
Luc Dionne évoque la Commission Charbonneau pour illustrer combien le propos de Bunker, le cirque résonnerait encore aujourd’hui. Estime-t-il que sa vision artistique avait été mal comprise à l’époque?
«Je ne sais pas. Peut-être que les gens s’attendaient à autre chose. Je sais qu’il y avait des fans finis de la série. Des hard fans! Qui nous écrivaient, et nous écrivent encore, pour savoir si ça va repasser…»