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La Géante: Un magnifique et émouvant hommage à La Poune

C’est d’abord un hommage sincère, senti et plein de cœur à Rose Ouellette, alias La Poune. Avec de petites pointes de leçons d’histoire du Québec. Et c’est, en somme, une très belle pièce de théâtre musical.

Le spectacle La Géante, mettant en vedette une émouvante Gabrielle Fontaine dans le rôle-titre, est un magnifique objet créatif, instructif, sur une géante dont on sous-estime collectivement le legs.

Les multiples couches de l’histoire encapsulent des pans de la culture québécoise, dans une facture audacieuse et peu conventionnelle, appelant l’intelligence et l’imagination du spectateur. Il faut toutefois une certaine maturité pour en apprécier la finesse et le propos, d’autant plus que l’enchaînement est long (deux heures trente, avec entracte). En oubliant certains discours un peu plaqués, La Géante se révèle un petit bijou que, gageons-le, Rose Ouellette n’aurait pas renié!

Une scène de la pièce La Géante / Crédit : Serge Cloutier

L’équipe du Théâtre de l’Oeil Ouvert (idée originale, textes et paroles de Geneviève Beaudet, mise en scène de Jade Bruneau, également comédienne, et musiques d’Audrey Thériault) n’offre pas une biographie traditionnelle de La Poune. On ne la relate pas linéairement, de son enfance à son trépas, avec un comédien pour chacun des visages importants rencontrés dans sa vie.

La troupe a plutôt choisi de créer une sorte de conte fantastique à forte tendance onirique. Le chemin de Rose Ouellette s’expose parfois en dialogues, parfois en chansons de groupe ou solo appuyées de chorégraphies, parfois à travers les mots du narrateur, un cheminot incarné par Simon Fréchette-Daoust qui, à bord de son tramway, traverse les époques.

Le tout, en tableaux relativement courts et défilant rondement, où se distillent une foule d’informations intéressantes sur Rose Ouellette et le contexte social et politique où celle-ci évoluait.

Une scène de la pièce La Géante / Crédit : Annie Dyotte, courtoisie production

Du Faubourg à aujourd’hui

C’est ainsi qu’on découvre Rose Ouellette enfant, «la p’tite tannante du Faubourg à m’lasse», surnom qui lui collera longtemps. Rose Ouellette, petite comique délurée qui faisait rire tout le monde, même le curé chargé de la sermonner, au grand désespoir de sa mère (Jade Bruneau). Le mot «actrice» ne rimait-t-il pas alors avec «vice»…?

Les premiers concours et auditions, l’atmosphère (et l’odeur!) du Faubourg à m’lasse, le séjour obligé à la Duchess Shoes Factory, les Guerres 14-18 et 39-45, le snobisme du milieu théâtral dramatique (au Monument-National!) envers le théâtre populaire (le National!), le krach boursier de 1929, l’élection de Rose à la tête du Théâtre Cartier, puis du Théâtre National, les numéros burlesques : voilà tant d’épisodes de la vie de La Poune qui se déploient concrètement ou poétiquement dans La Géante.

Bien sûr, on consacre de consistants et délicats segments à sa douce et pure romance, cachée au grand jour, mais connue dans leur garde rapprochée, avec sa secrétaire Gertrude Bellerive, rebaptisée Gigi (Jade Bruneau).

Gabrielle Fontaine et Jade Bruneau incarnent Rose Ouellette et Gigi, dans la pièce La Géante / Crédit : Annie Dyotte, courtoisie production

La Poune est souvent flanquée de sa camarade Juliette (Stéphanie Arav). Béliveau, Huot, Pétrie? Toutes les Juliette de Rose Ouellette se contiennent en une seule personne. Aucun acteur ne personnifie Olivier Guimond, mais la complicité de La Poune et Ti-Zoune se dépeint dans une mélodie à l’unisson… où volent les tartes à la crème! Les «vilains» Colette Monté (Rita Tabbakh) et Gabin Solent (Christian Laporte), eux, se présentent sporadiquement comme les antagonistes des volontés de notre héroïne; ils sont les commères de la bien-pensance ou les patrons licencieurs… En fin de piste, Gabrielle Fontaine, en tenue de 2024, s’exhibe en actrice-humoriste-femme d’affaires moderne, digne descendante de Rose Ouellette.

Et, avec ses musiciens en fond d’espace, sa grande passerelle planchée de bois et son jeu de chaises manipulées par les acteurs, La Géante revêt un côté «fait maison» faisant justement écho aux années de cabaret de Rose Ouellette. La boucle est bouclée.

Gabrielle Fontaine ne manque pas de tonus dans la peau de la fantaisiste Ouellette. Bien sûr que l’interprète de Passe-Carreau arbore la chevelure rousse et le gabarit physique nécessaires, mais elle matérialise aussi efficacement la gestuelle rustre et un peu empêtrée de son alter ego née en 1903. Respectueusement, sans verser dans la caricature.

Rose Ouellette s’est estampée dans l’imaginaire populaire récent comme l’amuseuse au «petit chapeau» et aux blagues de vaudeville, comme une porte-étendard des années de gloire de l’humour salace. Ses célèbres paroles «J’aime mon public et mon public m’aime» , et le slogan qu’elle scandait dans une publicité de bière Molson particulièrement marquante («La rousse, ‘est douce!») dans les années 1990 ont aussi traversé le temps.

Pourtant, il y a beaucoup à connaître sur cette femme, menue de corps, mais tellement grande de caractère, de détermination et d’indépendance d’esprit. «Vous faire rire, c’est ma vie», répète-t-elle souvent dans La Géante, tel une fatalité que Rose Ouellette imposait silencieusement et sans violence : elle ne serait jamais autre chose qu’une artiste. La Géante constitue le coup de chapeau et la révérence empreints de considération que le Québec ne lui avait encore jamais adressés.

La Géante tient l’affiche du Centre culturel Desjardins de Joliette jusqu’au 10 août, du Carré 150 de Victoriaville du 15 au 31 août, et partira ensuite en tournée, avec un arrêt au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts le 5 juin 2025. Pour informations: lageante.ca.

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