Souvenons-nous. C’était en janvier 2020. TVA lançait avec éclat la nouvelle série Épidémie, des auteurs Annie Piérard, Bernard Dansereau et Étienne Piérard-Dansereau. L’histoire? Un virus qui se propageait à la vitesse de l’éclair à Montréal, entraînant une flopée de conséquences sur son passage…
Dans la réalité, plus loin sur la planète, un certain coronavirus commençait au même moment à causer des ravages. À la mi-mars, c’était au tour du Québec de se confiner pour se protéger de ce qui convenait désormais d’appeler une pandémie. Pourtant fictive, l’Épidémie de TVA s’était avérée prophétique.
Assisterons-nous au même phénomène avec la Société distincte de Club illico, dont l’intrigue s’articule autour… d’enlèvements perpétrés par des extraterrestres? Devons-nous dès maintenant commencer à surveiller les manifestations paranormales autour de nous?
Trêve de plaisanterie. Ce ne sont évidemment là que des blagues. On ne s’attend pas véritablement à voir nos proches se volatiliser mystérieusement après l’écoute de Société distincte.
Surtout, on aurait tort de ridiculiser le petit monde résolument captivant mis en place par l’auteur, réalisateur et producteur (pour Blachfilms) Benoit Lach, qui est pleinement crédible. Réaliste, on l’ignore, mais crédible, certainement.
Un kidnapping extraterrestre dans une maisonnée québécoise ordinaire, sur fond de chansons de La Chicane et Belgazou? Le résultat aurait pu être grotesque. Ç’aurait été facile de se casser les dents. Mais, non, pas du tout. Société distincte déploie un univers riche et très pertinent à déguster, une heure à la fois. Chapeau à Club illico pour l’audace. Les 10 épisodes de Société distincte s’y trouveront en entier dès ce jeudi, 6 juin. Une deuxième saison sera peut-être confirmée éventuellement.
15 ans plus tard…
L’histoire de Société distincte débute par une belle journée d’été au camping. Deux familles profitent du barbecue.
Le petit Gabriel a l’âge de ne pas encore différencier sa gauche et sa droite. Son grand frère Marc prend bien soin de lui. Lors d’une partie de cache-cache entre les frangins et leur ami Julien, Gabriel disparaît sans crier gare. Toutes les ressources sont déployées pour le retrouver. La mère des garçons, Micheline (Maude Guérin), est dévastée. Au bout de quelque temps, Marc montre à Julien la preuve selon lui irréfutable que la désertion soudaine de Gabriel est attribuable à une intervention des extraterrestres: un crop circle (cercle de culture, empreinte géométrique laissée dans un champ par, supposent certains, des passages extraterrestres).
15 ans plus tard, toujours nulle trace de Gabriel. Marc (Antoine Pilon) vit en symbiose avec et chez sa mère, possessive et légèrement démunie. Tous deux sont encore persuadés que des créatures étrangères ont enlevé l’enfant, au point où Marc, devenu une sorte de Tanguy renfermé, ténébreux, fait maintenant carrière dans l’ufologie (étude des ovnis – objets volants non identifiés, et autres expressions paranormales). Son père, Raymond (Luc Guérin) a quitté la maison depuis les événements, en désaccord avec la théorie extraterrestre.
Marc multiplie les rencontres avec sa clientèle désemparée – comme cette femme interprétée par Louise Turcot, certaine de traîner un bagage extraterrestre depuis sa jeunesse – en y projetant sa propre histoire. Bien sûr, il se bute quotidiennement aux préjugés des gens qu’il croise, bien incrédules face à l’existence des extraterrestres. Des retrouvailles inattendues avec Julien (Robert Naylor), qu’il avait perdu de vue depuis plusieurs années, lui donneront peut-être un coup de pouce, tant humainement que dans ses recherches.
Et se glissent ici et là des individus louches qui ne font au début que passer, comme ce duo en noir, Denise (Jacinthe Laguë) et Mike (Kevin Houle), qui ne fleurent pas spécialement la bienveillance. Et qui est ce garçon blond amnésique (Antoine DesRochers), découvert nu, paraissant «possédé»? Pourrait-il s’agir de Gabriel?
Outre sa distribution particulièrement étincelante (Monique Spaziani, Deano Clavet, Juliette Gosselin, Hélène Florent, Dominique Laniel, Rémi Goulet, Luc Picard, Sophie Faucher et même le chanteur Bruno Pelletier), Société distincte met aussi en valeur la musique québécoise, de La Chicane à Jean-Pierre Ferland. Le récit adresse même un clin d’œil à l’identité et la souveraineté du Québec.
Prise de risques
Le petit écran québécois s’aventure rarement sur le terrain de la série de genre nichée. On dénombre certes quelques tentatives de produits d’horreur (Piégés, Terreur 404, Patrick Sénécal présente…) dans nos mémoires et sur nos plateformes; rayon science-fiction, la finesse de Grande Ourse (2004), du scénariste Frédéric Ouellet et du réalisateur Patrice Sauvé, a élevé l’œuvre au rang d’incontournable aux yeux de plusieurs. En revanche, le chapeau de Pascale Bussières et les pouvoirs «magiques» des protagonistes de Prémonitions (2016), avec leurs drôles de tics au moment de les utiliser, avaient plus de quoi faire sourire en coin que figer d’effroi. Le récent Lac-Noir de Club illico, avec ses loups-garous, se campe quelque part entre les deux.
Leurs budgets parfois faméliques n’autorisent pas beaucoup la prise de risques chez nos créateurs. Heureusement, des irréductibles comme Benoit Lach continuent de porter le flambeau de la science-fiction québécoise avec des projets comme Le 422, né à Télé-Québec en 2019, et maintenant Société distincte, en emmenant leurs récits au-delà des stéréotypés «petits bonhommes verts». L’homme bosse sur la trame de Société distincte depuis 2009; il avait au départ l’intention d’en faire un film.
Parmi les inspirations de Benoit Lach, la conférence du Disclosure Project, au début des années 2000 aux États-Unis, qui fournissait quantité d’informations sur les extraterrestres, a allumé ce grand fan de E.T. et de They Live, de John Carpenter, tout comme la disparition momentanée de son propre frère, «pendant quelques heures», lorsqu’il avait huit ans.
Chez Club illico, on soutient chercher d’abord et avant tout «de bonnes histoires», dans tous les créneaux, a mentionné Olivier Aghaby, directeur des séries fictions originales, Québecor Contenu, en spécifiant que la tendance mondiale verse néanmoins beaucoup vers le paranormal. «On a envie de regarder des fictions qui nous sortent du cadre du réel», a dit Monsieur Aghaby aux journalistes, lundi. De toute façon, plaide-t-il, Société distincte constitue d’abord un drame familial, avant d’être une chronique surnaturelle.
Les artisans et têtes d’affiche de Société distincte, eux, croient-ils aux extraterrestres?
«Je crois à une autre forme de vie. C’est évident qu’on n’est pas les seuls sur cette terre. J’espère qu’ils sont moins bêtes que les êtres humains que nous sommes (rires), en train de détruire la planète ou en guerre constamment (…) J’espère que quelque chose existe dans l’au-delà, qui va peut-être nous venir en aide», a glissé Maude Guérin, qui se réjouit de savoir que son fils de 21 ans sera interpellé par le propos de Société distincte.
Société distincte sera disponible sur Club illico ce jeudi, 6 juin.