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Critique: «Nos Belles-Sœurs» donne le goût d’aller aux vues!

Les célébrissimes Belles-Sœurs de Michel Tremblay ont connu d’innombrables vies sur les planches, se sont exprimées dans une quarantaine de langues un peu partout à travers le globe, ont chanté leurs petites misères dans la comédie musicale cocréée par René-Richard Cyr et Daniel Bélanger acclamée jusqu’à Paris, mais elles n’avaient – étonnamment! – encore jamais fait le saut au cinéma.

Pourtant, depuis presque 60 ans qu’elles meublent notre culture populaire, Germaine Lauzon et ses commères de voisines méritaient bien leur long métrage. Elles n’ont toutefois rien perdu pour attendre. Le film de René Richard Cyr (qui vit par la même occasion son baptême de scénarisation et de réalisation au septième art) qui les célèbre, elles et leurs petites vies ordinaires, égayées le temps d’une soirée de collage de timbres Gold Stam, passeport pour une richesse jusque-là fantasmée sur papier glacé, est amusant, sensible et drôle, et rend tout à fait justice à l’époque et au monde ouvrier façonné par Tremblay.

Geneviève Schmidt, Anne-Élisabeth Bossé et Jeanne Bellefeuille dans une scène du film Nos Belles-Soeurs / Courtoisie Cinémaginaire / TVA Films

Il cristallise le mythe des Belles-Sœurs et tout ce que celles-ci représentent pour le Québec, et s’en avère hautement digne. Il est coloré (presque criard par moments!) sans amoindrir la pauvreté et la souffrance de ces ménagères surchargées mentalement et physiquement bien avant l’émergence de la désormais consacrée expression «charge mentale». Il fait rire, sûrement pleurer les cœurs plus tendres, et ne nous laisse pas nous ennuyer une seconde. Et on n’a même pas encore parlé des prestations impeccables des actrices, Geneviève Schmidt en tête, et Anne-Élisabeth Bossé, Guylaine Tremblay, Debbie Lynch-White, Ariane Moffatt (excellente dans un premier rôle de fiction), Valérie Blais et Pierrette Robitaille non loin derrière.

Les voix, les costumes, les perruques, les textes: Nos Belles-Sœurs fleure l’odeur des Belles-Sœurs telle qu’on se l’imagine, jusqu’à travers nos écrans. Bref, sans conteste de quoi donner le goût d’aller «aux vues», comme on disait à l’époque!

Envie et jalousie

Nos Belles-Sœurs, c’est encore et toujours l’histoire qu’on connaît, celle de Germaine Lauzon et ses amies fanatiques de bingo dans leur quartier populaire de Montréal quelque part dans les années 1960.

Germaine remporte par hasard le million de timbres lui permettant de remeubler le petit appartement qu’elle et son homme Henri (Steve Laplante) peinent à payer, et rêve à tout le bric-à-brac qu’elle pourra enfin se procurer pour goûter au luxe pour la première fois de son existence – avec des pots en fer chromé pour le sucre, la farine et le thé, s’il vous plait! Son entourage féminin ravale sa jalousie en même temps que la liqueur que Germaine lui sert pour mieux faire passer le service qu’elle lui demande, soit de l’aider à coller le million de timbres faisant d’elle une femme riche.

À tour de rôle pendant cette réunion douce-amère, chacune déverse ses grands et moyens malheurs (pendant que les rubans et livrets de timbres glissent dans les sacs à main sans subtilité, jusqu’à l’explosion de la supercherie!)

Une scène impliquant plusieurs actrices du film Nos Belles-Soeurs / Courtoisie Cinémaginaire / TVA Films

Thérèse Dubuc (Guylaine Tremblay, dont le personnage fusionne avec celui de Marie-Ange Brouillette que les habitués des Belles-Sœurs connaissent bien), envieuse et jalouse, en découd avec sa belle-mère en chaise roulante, Olivine Dubuc (superbe Véronique Le Flaguais, qui jase en onomatopées) ; la «vieille fille» Des-Neiges Verrette (Debbie Lynch-White) en pince secrètement pour un vendeur de brosses qui lui attire les moqueries; Lisette De Courval (Valérie Blais) tente d’en mettre plein la vue à «perler»; les «amies» Rhéauna Bibeau et Angéline Sauvé (Pierrette Robitaille et Diane Lavallée) se cachent des secrets…

Toutes se désâment à leur façon, et leur désarroi est suffisamment palpable et touchant pour qu’on compatisse à leur envie de voler dix… ou mille timbres!

Avec des scènes plus longues et plus fournies que des tableaux théâtraux, Nos Belles-Sœurs nous entraîne davantage en profondeur dans la réalité de ces ménagères nées pour un petit pain, aspirant comme tout être humain à la boulangerie tout entière. On rencontre les conjoints, les enfants de nos dames, on voit se dérouler un petit matin occupé de cris et de bousculades dans les cuisines mal nettoyées. La complainte du Maudit cul de Rose Ouimet prend tout son sens lorsqu’on mesure à quel point son rustre mari Roland (Guillaume Cyr) est répugnant. Le portrait de famille d’Yvette Longpré (Ariane Moffatt) au mariage de sa fille bien-aimée s’anime de façon très comique.

Geneviève Schmidt impressionne dans la peau de Germaine Lauzon, mythique personnage principal des Belles-Soeurs de Michel Tremblay / Courtoisie Cinémaginaire / TVA Films

Oui, il y a des chansons, quelques-unes choisies dans la trame sonore de la comédie musicale scénique, et que le public a peut-être retenues: Maudite vie plate, J’ai-tu l’air de que’qu’un qui a déjà gagné que’qu’chose?, Ode au bingo. Elles ont toutes été réarrangées, et Gratis a même été recomposée pour l’occasion. Elles sont rehaussées par des chorégraphies endiablées signées Team White, qui ajoutent kitsch et légèreté à un propos somme toute grave. C’est qu’elles jouissent de leur petite touche Broadway, Nos Belles-Sœurs! Parfois, ce sont aussi des ballades hurlant un mal-être déclamées plus sobrement à la caméra, comme Crisse de Johnny, par la rebelle Pierrette (Véronic Dicaire) ou La porte d’en avant, par Pierrette et la jeune Linda Lauzon (Jeanne Bellefeuille, une jolie révélation).

Or, «ce n’est pas une comédie musicale» a martelé l’équipe à quelques reprises en conférence de presse, lundi matin. Ce à quoi on donne raison: les personnages ne dialoguent pas en musique, et les airs chantonnés ne constituent qu’un infime pourcentage de ce polaroïd si joliment capté dans nos passés à tous. Et il y a encore un p’tit peu de nous autres dans Nos Belles-Sœurs, et ça sera sans doute encore le cas dans 50 ans.

Le film Nos Belles-Sœurs, une production de Denise Robert et Cinémaginaire, prend l’affiche en salle ce jeudi, 11 juillet.

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