Après 1981 (2009), 1987 (2014) et 1991 (2018), Ricardo Trogi poursuit son devoir de mémoire personnel en relatant une autre période de son existence souvent haute en couleur dans 1995.Dans ce nouveau volet de sa «Trogilogie», le réalisateur raconte ses premiers pas dans le milieu artistique à travers le récit d’un épisode de sa participation à l’émission La course destination monde (rebaptisée ici La course pour des raisons techniques).
Aux premières minutes de 1995, notre antihéros cherche un peu comment se matérialisera son ambition de bosser dans les communications. Puis, vient l’ivresse de l’annonce de sa participation à La course.
Enfin, Ricardo (Jean-Carl Boucher, qui commence à véritablement ressembler à Ricardo Trogi dans ses mimiques et intonations, depuis le temps qu’il l’incarne) se sent devenir «quelqu’un»! La vignette onirique comique où, gonflé d’orgueil, le protagoniste botte le derrière de tous ceux et celles l’ayant un jour rejeté (incluant sa douce Marie-Ève Bernard de 1991 (Juliette Gosselin), le ministre de la Culture et un Oralien) est particulièrement rigolote et exprime à elle seule le besoin démesuré de Ricardo de briller et de revendiquer sa place dans le monde.
Même à 24 ans, le personnage dégage encore une naïveté de jeune garçon, tellement «payante» pour une comédie au cinéma. Cette vérité, cette vulnérabilité dans son autoreprésentation à l’écran est probablement l’une des plus belles qualités des films de Ricardo Trogi. Et c’est sans compter la réaction de la toujours excessive Claudette (truculente Sandrine Bisson), qui a peine à se contenir de voir son garçon à la télévision!
De l’anecdote, moins d’émotion
Catapulté à Amsterdam, en Turquie, puis en Égypte dans le sillon de la grande aventure de La course devant le mener dans plusieurs pays pour la conception de courts métrages de quatre minutes – ensuite évalués par des professionnels du milieu du cinéma – notre Ricardo, toujours en recherche de sujets à filmer, fera des rencontres d’abord enrichissantes, qui deviendront parfois pesantes.
Le sympathique Yunnis (Shadi Janho) s’accrochera au Québécois comme une sangsue, réclamant son aide pour reconquérir son amoureuse, avant de foutre son acolyte dans le pétrin sans le vouloir. Doit-on s’en étonner? De là découlera un bourbier administratif sans fin pour Ricardo, qui devra multiplier les allées et venues à l’ambassade du Canada et aux douanes égyptiennes, empêtré dans les formulaires, pour mettre la main sur une précieuse caméra. Un segment qui occupe beaucoup de place dans le film, et qui n’a sans doute pas été une sinécure à créer et à assembler pour le monteur Yvann Thibaudeau.
Nonobstant quelques imperfections, à l’instar des précédents opus de la série, 1995 s’avère un film hautement divertissant. Drôle et réellement intéressant.
Seulement, c’est peut-être là le défaut de la grande qualité de l’œuvre : dans le récit de sa propre histoire, Ricardo Trogi a peut-être sacrifié un peu d’émotion et de profondeur au profit de l’anecdote et de l’amusement. La portion du brouhaha autour de la caméra en est un bon exemple: à la fois rigolote (et décourageante!), elle aurait néanmoins pu être raccourcie pour offrir plus de temps de glace à la relation avec le père, Benito (Claudio Colangelo), par exemple.
Une porte sur celle-ci s’ouvre dans 1995, alors que le pragmatique patriarche italien se montre réfractaire à l’idée de voir son fils emprunter la voie du show-business; à la fin, Ricardo prend conscience de la valeur du compliment d’un papa, mais l’aspect familial aurait pu être encore mieux creusé, maintenant que Ricardo est adulte. D’autant plus que le public les connaît bien, les délurés membres du clan Trogi.
La correspondance avec l’amoureuse du moment, insatisfaite de la stagnation de sa relation avec Ricardo, n’apporte pas grand-chose de concret à l’intrigue sinon une couche supplémentaire de cocasserie, et met en relief l’immaturité du jeune homme. On n’en connaît pas vraiment le dénouement en fin de piste. Dans 1995, Ricardo Trogi survole ses relations, plus intéressé à raconter les montagnes russes de sa formation professionnelle. Ce qui ne donne pas un mauvais film pour autant, très au contraire.
Une Course très réaliste
Rien à redire, d’ailleurs, sur la reconstitution de La course destination monde et ses figures marquantes (Mickaël Gouin en Pierre Therrien, Guillaume Gauthier en François Parenteau, Émilie Bibeau en Manon Barbeau, David Leblanc en Michel Coulombe…), qui ravira les adeptes de la première heure du mythique concours radio-canadien. La trame sonore, composée de morceaux de Daniel Bélanger, Us3 et The Proclaimers, entre autres, constitue également un attrait en soi.
Hormis cette retenue dans le rayon sentimental, 1995 est certainement le titre le plus sensible de la série, dans lequel Ricardo évolue et gagne le plus en maturité. À la volonté de gloire et aux prétentions Van Gogh-esque du début se substituent, chez le vingtenaire, une envie sincère de mitonner du contenu engagé et une vision claire de son avenir. En filigrane, 1995 questionne le choix de la voie artistique comme gagne-pain, mais encore là, sans y piocher avec consistance.
Cela dit, l’essence de la série 1981 – 1987 – 1991 est respecté avec 1995, et les inconditionnels dégusteront ce nouveau morceau comme du bonbon. Et il se révèle suffisamment attrayant pour qu’on réclame une autre suite à Ricardo Trogi…
Le film 1995 prend l’affiche en salle le 31 juillet.