
Certains utilisent l’expression «L’effet papillon». Billy Tellier, lui, préfère «Kicker la ruche». Vous savez, cette séquence de malchances et d’imprévus susceptibles de découler d’une malencontreuse mauvaise décision prise sans malice? Les abeilles qui partent en vrille d’un simple mouvement de pied?
Kicker la ruche, c’est, ainsi donc, le titre du troisième one man show de Billy Tellier, dont la première médiatique occupait la Salle Pierre-Mercure, à Montréal, mardi soir. Après La loi du plus fort, en 2013 (une carte de visite basée sur des tranches de vie plutôt bon enfant) et Hypocrite(s), en 2019 (où nos mensonges d’adultes constituaient le fil conducteur, avec le récit d’un cancer dont on n’avait jusque-là jamais rien su), Tellier rapplique avec ce nouvel opus, qu’il ne pourra hélas pas qualifier de plus abouti ou plus inspiré de son parcours.
Parce que, est-ce que Kicker la ruche est un spectacle audacieux, désarmant, percutant, déroutant, surprenant ? De la trempe d’une Mégan Brouillard, par exemple?

Ce n’est certainement pas dans son originalité que Billy Tellier se démarque. Même que Kicker la ruche est probablement l’effort où l’humoriste verse le plus dans la facilité, avec un peu de grossièreté échappée ici et là sans trop de justification.
Une béquille maladroite pour compenser un texte moins travaillé, des thèmes déjà trop visités (les gaffes stupides de l’être humain, l’infortune des personnes trop gentilles, l’éducation des enfants, les couples qui durent, les jugements qu’on porte, son somnambulisme…) ou un simple manque de confiance (pourtant…)?
Or, l’héritier spirituel et scénique de Laurent Paquin (d’ailleurs signataire de la mise en scène de Kicker la ruche) est un communicateur hors pair (on salue ses 10 ans à la barre de Debout les comiques, à CKOI) qui possède l’art de tisser une complicité béton avec les spectateurs en un claquement de doigts, en deux anecdotes triviales. Billy «en a d’dans», comme diraient nos grands-pères, et on dirait qu’aucune foule ne pourrait l’intimider.
Un certain nombre de ses lignes sont réussies. Mais, la moitié du temps, dans Kicker la ruche, elles s’égarent au tournant et s’aplatissent sans demander leur reste. Dommage, parce que La loi du plus fort et Hypocrite(s) étaient plus solides à ce niveau.
Faisons-lui la grâce d’oublier ses gags plus que douteux, par exemple, sur les dames centenaires buveuses de gin (affublées d’un surnom pas très gentil) ou sur l’image mentale générée par l’expression «sucer sa m*rde». Encore davantage ses boutades sur le vocabulaire «pas viril» dans le monde de la construction (allons… en 2025?).
Et, non, les personnes qui affectionnent l’expression «J’entends ce que tu me dis» ne méritent pas nécessairement de «se faire gunner», Billy…
Ça serait un brin cruel.

Une fois le mauvais goût évacué, les propos de Billy Tellier résonneront possiblement chez quelques-uns de ses semblables. Son parterre hilare, mardi, en était une bonne preuve. Particulièrement, sa tirade sur l’éducation des rejetons et sur les conseils exaspérants en ce sens, s’inscrit parfaitement dans l’air du temps. Qu’est-ce qui justifie l’anxiété des bambins, en 2025, quand ceux-ci s’endorment dans une douillette couverture chauffante? Sa mère «badass», qui «pèse 100 livres quand elle a trop mangé», grande de 4 pieds 11 pouces, maîtrisant toutes les variations du «Heille!» capables de faire trembler une progéniture, constitue également à elle seule une source très riche de contenu comique. L’hommage que rend Billy à sa génitrice est aussi cocasse que touchant.
Kicker une ruche, c’est chercher le trouble, indéniablement.
Si, encore, les dards des abeilles de Billy s’avéraient suffisamment piquants pour laisser une trace concrète, mémorable ou simplement saisissante. À l’inverse, un soupçon de calamine, et elles seront vite oubliées.
Rachelle Elie séduit
Billy Tellier a néanmoins eu le flair de s’acoquiner une partenaire de route talentueuse et énergique pour ouvrir ses soirées de prestations. Absolument craquante, veston scintillant au dos, Rachelle Elie, dont la carrière québécoise et en français prend de l’ampleur chaque année, a frappé comme une tonne de briques en première partie.

«Allô, allô, j’suis anglophone! Et aussi Franco-Ontarienne, fuckers!». a-t-elle crâné avec la candeur d’une gamine, mais l’air baveux de la vieille routière qu’elle est et l’accent anglo comme arme de séduction massive.
Nommée au prochain Gala les Olivier dans la catégorie Découverte de l’année, Elie a surtout joué avec sa langue dans son numéro pour le moins «pas barré à 40», ironisant ses origines haïtiennes – débitées en, environ, une demi-seconde –, pastichant l’accent de France comme celui du Saguenay-Lac-Saint-Jean giguant sur La Ziguezon, esquissant le mot vagin en langue des signes, adressant de trop nombreuses références à sa «pl*tte à terre»…
Rachelle Elie sait «faire l’humour» à sa façon et s’est certainement gagné de nouveaux adeptes mardi dernier.
Billy Tellier présente son spectacle Kicker la ruche en tournée partout au Québec.
Consultez son site Web (billytellier.com) pour connaître toutes les dates.